Une matinée particulière


Ne pas s'énerver, garder son calme. Se dire, sans y croire vraiment, que tout cela n'a qu'une importance relative. Qu'il y a des choses plus essentielles que la propreté d'une rue. Et pourtant. Il y a des jours ou la réalité surgit, brutale, d'autant plus insupportable que l'on se sent à la fois démuni et vaguement coupable. L'autre matin, sous un soleil chaleureux, je sors de chez moi pour aller acheter du pain frais. A peine la porte franchie, le spectacle s'offre à moi, désolant. D'abord, les reliefs nauséabonds d'une société qui ne cesse de s'empiffrer débordent des poubelles. Sur les trottoirs, par flemme ou manque de place, certains de mes concitoyens ont empilé des sacs de détritus. Ils jonchent le sol, à moitié crevés. Tiens ! Hier encore, les abords du récup-verre étaient propres. Ce n'est plus le cas. J'imagine un déménagement nocturne, en loucedé, guidé par un vieux reste de culpabilité. J'ai probablement tort. Pourquoi se gêner. C'est d'ailleurs assez bizarre ! Ces dépôts sauvages fonctionnent souvent comme des sémaphores. Ils attirent. Autant l'avouer, j'y ai déjà succombé. La déchetterie était loin, et j'étais pressé. Ni vu, ni connu. Il m'arrive d'observer leur évolution au fil des jours. Inmanquablement, ils grossissent au rythme des accumulations successives. Comment ? Je n'ai jamais réussi à voir quelqu'un se débarrassant nuitamment de ses déchets. Lui ferais-je remarquer son manque de citoyenneté ? Sans doute non. A quoi bon ! Il faudra que je pense à téléphoner aux encombrants. Ferais-je aussi remarquer aux nombreux automobilistes qui se garent sur les trottoirs qu'ils gênent tout le monde ? Car après les odeurs, ma promenade matinale se transforme en une sorte de gymkana pédestre. Il - ce sont la plupart du temps des hommes - arrive au volant de sa voiture, ralentit, braque la roue jusqu'à toucher le trottoir, donne un petit coup d'accélérateur, monte sur le trottoir, rabat d'un geste sûr le retroviseur de peur de l'abîmer et, tout aussi sûrement, colle le côté gauche de la voiture contre le mur de brique rouge, obligeant le passant à emprunter la rue pour contourner l'obstacle ainsi créé. Il y a quelques semaines, j'avais pris le temps d'observer le manège. Ce qui m'avait alors frappé, ce sont les contorsions que doivent accomplir les automobilistes pour sortir de l'habitacle. D'abord, passer la jambe droite au dessus du levier de vitesse, puis, en s'aidant d'une main, soulever les fesses, les déposer lourdement sur le siège passager, effectuer une légère torsion du buste afin de ramener la jambe gauche et probablement éviter le lumbago. Enfin, sortir de l'habitacle.
D'ailleurs j'y suis dans l'habitacle. J'emprunte le chemin Lapujade pour aller au boulot. Je voulais passer par le boulevard Bonnefoy mais le concert de klaxons m'a refroidi. J'écoute la radio. C'est drôle, mais j'ai le sentiment que la circulation est de plus en plus dense d'années en années, comme un flot continu qui submerge le quartier. Entre deux voitures, je regrette d'avoir manqué d'initiative. J'aurais dû acheter un scooter. C'est trop loin en vélo. Non, j'aurais dû chercher un autre itinéraire, un échappatoire. La force de l'habitude m'en a empêché. Déjà, j'appréhende la rocade et ses bouchons. Voilà, j'aurais dû partir plus tôt. Si seulement je n'avais pas perdu du temps à aller acheter du pain frais.


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